C’est la joie! Tous tes amis, ta sœur, tes cousins, commencent à avoir des enfants et mon dieu! C’est la joie. Je vous rassure, ceci n’est pas une prise de conscience comme quoi il faut avoir des gosses à 30 ans blablabla. Quoique… faut que j’y pense un peu…. MAIS NON, cet article parle de la joie! La joie de nouveaux parents qui t’appellent et qui pensent que leur joie, c’est aussi TA joie. Alors que non, leur joie, c’est leur joie. Et moi j’ai pas envie de parler avec leur joie au téléphone, surtout que leur joie, elle sait pas aligner 2 mots et un son sur 2 t’éclate le tympan.
Force est de constater que c’est un passage obligé de la vie d’un nouveau parent. Il faut partager cet évènement avec les proches et montrer que cette petite créature dépourvue de diction est devenue le nombril du monde. Il est donc tout naturel que ce foutu téléphone se rapproche près de l’oreille de cette larve d’humain et d’entendre au loin la voix de l’heureux papa dire:
– Tu dis bonjour à tonton? Aller, dis bonjour à tonton.
C’est peine perdue, la seule chose que j’entends c’est une espèce de bruit de bouche mouillée de bave en train d’essayer de s’auto-mâcher les gencives.

Après 15 secondes d’un malaise interminable pendant lesquelles tu te forces à sortir un timide: «Salut Dylan, tu me dis bonjour alors?», Michel reprend le téléphone avant d’exprimer son désarroi:
– Je comprends pas, avant il faisait que d’appeler son tonton je te jure, t’aurais dû l’entendre c’était trop chou.
– Oh bah…
Oui, «oh bah» parce que, merde, tu veux que je te réponde quoi? Passe-le-moi quand il saura faire une phrase? Ou dans 15 ans histoire de causer d’écologie? Il pense à se bouffer les doigts de pieds ton machin là, pas à communiquer avec une voix étrange à travers un truc rectangulaire. Mais bref je tente donc de terminer mon «oh bah…» avec une phrase des plus bateau. Il faut dire qu’ils adorent ça les parents. Tant que tu continues à causer de leur gosse avec un faux demi-compliment improvisé sur le tas:
– Oh bah… il est encore petit mais ça va venir, ça grandit vite ces gamins, pis il a l’air malin le tien.
– Oh oui si tu savais, je peux déjà ranger toutes ses chaussures, il rentre plus dedans.
S’en suivent tout un tas de récits de soi-disant exploits du rejeton, du «il a pris sa cuillère tout seul hier!» à «il a déjà commencé à marcher à 4 pattes» avant de terminer sur l’inexorable phrase que tous les parents obnubilés du monde diront à un moment où l’autre:
– Tu sais, il est tellement en avance, normalement, c’est pas avant 18 mois.
Bon, je vais pas trop m’attarder sur le fait que je ne comprends pas pourquoi, dès qu’on devient parent, on compte les années en mois. 18 mois… c’est 1 an et demi MERDE! Et ça s’arrête quand hein? Quand on maîtrise plus les multiples de 6?
Bref, le moment de raccrocher est venu et la même rengaine se met en place: «tu dis au revoir à tonton?». Le résultat est similaire, sauf que cette fois, le môme rigole en fracassant son hochet 15 fois contre le micro pour me rendre sourd:
– Oh t’as entendu ! il a rigolé: il t’aime bien je crois.
Non, je crois pas non! Mon putain d’acouphène pourra te le dire! J’en ai marre et je réponds un rapide «oui je crois aussi, aller, à bientôt » avant de raccrocher sans attendre.
Soulagé, je me rends compte qu’entre deux non-dialogues avec son fils, je devais demander à Michel s’il pouvait aller chercher mamie à la gare… j’hésite à rappeler, mais après réflexion:
– Oh bah… j’irais moi-même.
